En septembre 2021, vos élu·es ont été prendre une leçon de coopération au Familistère de Guise. Du moins, c’est ce que nous pensions. On vous raconte.
Un parti-pris coopératif : partager la richesse produite collectivement
L’histoire du Familistère, c’est d’abord celle de son fondateur, Jean-Baptiste André Godin. D’origine modeste, il est d’abord ouvrier, puis rencontre le succès commercial avec son atelier, puis son usine, de poêles en fonte.
À son époque, au milieu du XIXe siècle, le capitalisme industriel est en plein essor. Godin souhaite offrir aux ouvriers de son usine ce qu’on appellera des « équivalents de la richesse ». L’ambition : leur permettre de bénéficier collectivement de ce que leur condition ne leur permet pas de s’offrir individuellement, par la coopération.
Godin fait construire des bâtiments d’habitation collectifs pour les ouvriers et leurs familles. Il les envisage comme un « palais social » ou un « palais du travail ».
Godin est un hygiéniste convaincu. Ses priorités : la salubrité et l’éducation. Dans les logements, cela se traduit par l’attention portée à la lumière, la circulation de l’air, l’accès à l’eau potable à chaque étage.
À proximité des habitations, ces priorités s’incarnent dans la création de la buanderie, pour laver et sécher le linge et éviter l’humidité dans les logements. mais aussi dans l’installation d’un pouponnat (équivalent de nos crèches) et d’une école, mixte et obligatoire jusque 14 ans (à une époque où l’âge minimum légal pour travailler est de 10 ans), d’un théâtre, d’une piscine, de douches et de magasins destinés aux travailleurs de l’usine, les économats. Les bénéfices de ces derniers sont répartis entre leurs clients chaque année.
Dernière touche au dispositif, la création de caisses de secours, pour protéger les ouvriers en cas de maladie ou d’accident du travail… et pour assurer une retraite à ceux qui atteignent 60 ans.
En 1880, Godin transforme son entreprise en coopérative de production, pour financer l’école, les caisses de secours : c’est l’Association du Familistère. L’objectif : permettre aux ouvriers de gérer coopérativement leur bien collectif.
Les utopies socialistes du XIXe siècle devenues réalité ?
Le Familistère s’inspire du phalanstère imaginé par Charles Fourier, philosophe qui a vécu à cheval sur les XVIIIe et XIX siècles.
Godin décide de se lancer dans le projet du Familistère… seul, après avoir perdu 1/3 de sa fortune dans une tentative de fonder une colonie phalanstérienne aux États-Unis.
D’ailleurs, c’est en grande partie ce qui lui vaut les critiques des marxistes, qui lui reprochent son paternalisme.
Et après Godin ?
L’Association continue de fonctionner jusque dans les années 1960. Mais alors que Godin y voyait une étape vers l’émancipation des ouvriers, tout se fige après son décès : aucun nouveau bâtiment n’est construit, le Familistère devient trop petit pour loger les travailleurs de l’usine, priorité est donnée aux enfants des ouvriers habitant déjà sur place, renforçant l’écart avec ceux qui n’y vivent pas. Les associés deviennent, de fait, une petite aristocratie dans l’usine.
En 1968, pour sortir de ses difficultés économiques, le Familistère passe aux mains du groupe Le Creuzet, qui conserve l’usine et vend les autres bâtiments (habitations, école, théâtre, économats). C’est la fin de l’utopie.
Aujourd’hui, le site est devenu un musée, géré depuis les années 2000 par un syndicat mixte. Les bâtiments avaient été classés Monument historique dans les années 1990.
Ce qu’on en retient
Le concept d’équivalents de la richesse nous a séduit·es : la force du nombre, c’est bien de pouvoir s’offrir collectivement ce qu’individuellement, on ne peut pas se permettre, sauf à être (très) riche. Si, au XIXe siècle, la priorité était donnée aux problématiques liées à la salubrité et à l’éducation, quels pourraient être, aujourd’hui, les équivalents de la richesse que nous souhaiterions construire, collectivement, dans notre coopérative ? Une question ouverte, dont les réponses vous appartiennent autant qu’à nous !
Par contre, autant le Familistère est un projet abouti, autant sa mise en œuvre nous a laissés un goût un peu amer : c’est avant tout le projet d’un homme, avec ses ambitions paternalistes, et non un projet construit collectivement. D’ailleurs, après sa disparition, le projet cesse d’évoluer et se montre incapable de s’adapter aux besoins de toutes ses parties prenantes.
Un bilan mitigé pour nous, en résumé : admiration du travail accompli et de ses partis-pris, déception sur les modalités de sa réalisation.